Agir & Entreprendre 07/2009 “Notre société n’est pas mature vis-à-vis de ses entrepreneurs”

Agir & Entreprendre 07/2009 “Notre société n’est pas mature vis-à-vis de ses entrepreneurs”

 

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“Notre société n’est pas mature vis-à-vis de ses entrepreneurs”

Enseignant-chercheur à Montpellier 3 et à EM Lyon, Olivier Torrès brise le tabou entourant la souffrance du patron de PME contraint de licencier et le confronte au « responsable mais pas coupable” de la grande entreprise.

On annonce près d’un million de chômeurs supplémentaires en 2009 et vous nous parlez du traumatisme du licencieur… Serait-ce de la provocation ? Que les choses soient claires : la première soufrance, la plus profonde et la plus durable, est évidemment celle du licencié. Mais au risque de paraître iconoclaste, l’acte de licenciement pour un patron du CAC 40

ou d’une PME de cinq personnes n’engendre pas la même implication personnelle… Le premier se déclare responsable mais pas coupable, aidé en cela par un système de management à distance qui incombe à son “N-x” de relayer la mesure de licenciement auprès des personnes concernées. Et au final, personne n’est coupable. A l’inverse, le patron de PME est non seulement responsable mais se sent souvent coupable lorsqu’il annonce lui-même, les yeux dans les yeux à son collaborateur, qu’il est licencié : quelqu’un qu’il côtoie tous les jours et dont il ressent la détresse. Et comme il n’a pas le beau rôle, il tait sa sou3rance. D’ailleurs à qui pourrait-il en parler ? > Les patrons de PME seraient donc eux aussi les victimes du couple infernal employé-victime, employeur-bourreau ? Les termes couramment usités pour illustrer le rapport de force entre l’employé et le patron sont effectivement empruntés au bréviaire de la victime et du bourreau ! Si le licencié bénéUcie d’un écho compréhensif dans les médias, le patron, prisonnier de son rôle de leader, est sous le coup de la loi du silence. Mais quand j’aborde le traumatisme du licencieur devant un parterre de chefs d’entreprises de PME, personne ne bronche. Parfois, certains viennent même me faire part d’épisodes douloureux enfouis, voire occultés. A cet égard, je suis sûr que bon nombre de faillites sont dues au fait que le patron se résigne trop tardivement à licencier. Un risque contre lequel le dirigeant d’un grand groupe se prémunit en se dotant de tous les outils de gestion nécessaires pour voir venir la tempête et licencier à temps. C’est-à-dire par temps calme… ce qui lui vaut bien souvent toutes les foudres du ciel ! > En somme, ce sont deux modes de management qui s’opposent… Pire, tandis que le système déployé dans les grandes entreprises est enseigné dans les écoles de management du monde entier et fait l’objet de 95 % des articles de recherche en management, le modèle de proximité inhérent aux PME est tout simplement ignoré. Or, en France, 95 % des entreprises sont des PME. Il y a un véritable déni de réalité. Toutefois, je ne fais pas l’apologie de la proximité pour autant car elle a aussi ses défauts, que résume assez bien le syndrome du “nez dans le guidon” qui caractérise le chef d’entreprise de PME. L’anticipation ne fait pas partie de ses points forts, et l’enfermement est un frein incontestable au développement de l’entreprise. Mais a contrario, la dilution des responsabilités et la distance géographique entre celui qui licencie et le licencié, synonyme d’anonymat de ce dernier dans la grande entreprise, aboutissent à une abstraction à l’origine d’une violence inouïe, dont il est urgent de se préserver. > Ni proximité ni anonymat, quelle 3e forme de management préconisez-vous ? Je ne fais que briser la loi du silence en recueillant les témoignages de chefs d’entreprise de PME, victimes eux aussi de ce système. Même si c’est morbide, j’établis actuellement le premier recensement de données sur les suicides patronaux. Car peu de statistiques existent sur l’état de santé réel des quelque 2,5 millions de patrons de PME en France. Quand la médecine du travail a été créée, on a d’emblée ignoré le bienêtre physique et mental des patrons. Or il s’agit d’une question de santé publique. Et je vais encore plus loin en acrmant que seule une société qui protège ses entrepreneurs est une société mature ! Pour répondre à votre question, bien sûr qu’une troisième forme de management est possible. Elle doit concilier la puissance de la grande entreprise sans la violence et l’humanite de la PME sans l’enfermement. Le développement durable est à cet égard une piste prometteuse.